Sémiologie des Cimetières
6 mars 2010, 17 h 38 mi
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 Article de Christian Gatard paru dans le Dictionnaire de La Mort, Larousse 2010

Sémiologie des Cimetières

 

 A la mort absurde, au non-sens de la mort, l’homme n’a de cesse de proposer un système de défense fondé sur un amoncellement de sens, sur une surabondance symbolique. Au silence définitif du tombeau, il oppose l’artifice salvateur d’une mémoire qui se bat pas à pas, signes à signes, contre la disparition et l’oubli. Cette contre-attaque du vivant est une proposition d’inversion. En physique, on parlerait de changement de sens de rotation du moteur, en aéronautique, de l’inversion du fonctionnement des réacteurs pour obtenir un freinage. Que peut-on, d’ailleurs, obtenir de plus ? Au mieux un ralentissement fantasmatique de l’anéantissement inéluctable de la mémoire du mort, de tous les morts.

Sans doute est-ce là un des sens de l’accumulation de signes et de symboles que l’homme oppose – tel des barricades hétéroclites dans une guérilla urbaine perdue d’avance – à l’avancée irrémédiable des chars de la mort et de l’oubli.

Le bestiaire, l’herbier, le cabinet de curiosités, les instruments et accessoires, les formes et les volumes, les métaux et les minéraux, les objets, les figures du corps forment l’arsenal apotropaïque et récurrent de l’imaginaire de la mort :

Morceaux choisis

Le bestiaire

L’agneau évoque le renouveau, la victoire toujours à refaire de la vie sur la mort et, en même temps, par sa fragilité, la mort prochaine. La chouette, le hibou, la chauve-souris sont psychopompes. La colombe – oiseau au plumage blanc de la pureté – est messagère de Dieu. Le serpent peut surgir de la rocaille au pied de la croix. Il représente le mal et Satan en opposition au Christ et le bien.

La flore

L’arbre défie la fragile instabilité de la vie (Robert Dumas). Le chêne évoque la force et l’immortalité. Le tronc d’arbre élagué est le symbole de la mort précoce Le saule pleureur évoque la renaissance par la facilité avec laquelle une branche arrachée – la mort – donne des racines – la vie – en étant plantée dans le sol. Les piquants de l’acanthe, le chardon, représentent les épreuves et les affres de la vie auxquels la mort met un terme. Le blé, symbole de vie, suggère la mort lorsque la faux tenue ou non par un squelette, coupe la tige. Le gland, la carotte de pin apparaissent après la floraison (la maturité, l’âge adulte), à l’automne (la vieillesse et l’annonce de la mort) mais suggèrent surtout le printemps et la promesse d’une nouvelle naissance, la renaissance. Ils sont aussi une allusion plus ou moins explicite au sexe masculin et à la conception.  Le lis à la tige cassée symbolise la mort d’un nouveau-né ou d’un enfant des deux sexes. La fleur des fleurs, la rose, suggère l’amour, la protection des survivants. La grappe de raisin comporte une double image de mort et de vie, car il faudra la séparer du cep pour que, malaxée, elle donne le vin.

Le cabinet de curiosité

L’amphore représente l’enveloppe corporelle contenant l’âme. La couronne mortuaire est symbole d’éternité par le cercle qu’elle épouse, forme sans début ni fin. Elle peut être constituée de tiges de pavot (sommeil éternel), de laurier ou de chêne (gloire), de lierre (éternité et attachement), d’immortelles (immortalité), de pensées (souvenir, libre pensée), de fleurs variées. La couronne végétale est souvent à la fois mort et promesse de naissance, par le fait que la tige a été arrachée ou coupée, mais qu’elle comporte fruits ou fleurs. Le coussin est un attribut du sommeil et par la même du sommeil éternel. Il vient compléter la symbolique du lit. Le compas et l’équerre singularisent la sépulture du tailleur de pierre, du marbrier, du sculpteur, du maître de carrière, de l’entrepreneur de travaux, de l’architecte. Le sablier ailé évoque le passage inexorable du temps. Par son côté réversible, il évoque la faculté d’une nouvelle vie ou de la vraie vie, selon les convictions de chacun, si on retourne cet instrument de la mesure du temps. La balance, surmonté d’un crâne, évoque l’idée que la mort supprime les privilèges, les différences sociales. La présence du calice et de l’hostie, souvent rayonnante, signifie la sépulture d’un prêtre. Le casque peut se suffire à lui-même pour être significatif de la vie, de la profession du défunt. La faux égalise les êtres humains au moment de la mort.

Le corps

L’alliance est le terme utilisé par les marbriers pour désigner deux mains entrecroisées dont la supérieure est généralement celle d’une femme à l’annulaire présentant une alliance. Ce bijou est un cercle parfait – forme sans début ni fin – qui symbolise la permanence du couple malgré la mort. L’œil, inscrit au centre d’un triangle est l’œil de Dieu, qui voit tout et sait tout. L’os constitue souvent l’ultime trace de l’humain. Le crâne et les os allongés sont l’image réaliste de ce qui restera du corps.

Les signes funéraires s’accumulent, illusoires entraves. Ils sont poignants pour les uns, consternant pour les autres. Question d’époque. Ces figures de rhétoriques constituent une ligne de Maginot sémiologique et funéraire bien fragile quand la camarde lance ses assauts. Pourtant, cette sainte alliance – de cultures, de pathos, de symboliques fédérés contre  l’inculture absolue de la mort – fait sens pour ceux qui restent. Car bien entendu les cimetières sont faits pour les vivants, pour la mémoire et la compassion, pour la consolidation de l’espèce humaine.

Christian Gatard


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