ODON A VANNES 4.02.2020
31 janvier 2020, 14 h 19 mi
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ODON VANNES FEVRIER 2020.jpg



DEMAIN, QUELLES REGLES DU JEU ? PROSPECTIVE DES DIVERTISSEMENTS Un article collectif du Comptoir Prospectiviste, avec les idées de Christian Gatard, de Jean-Jacques Vicensini et d’Olivier Parent, pour INfluencia. A lire aussi sur www.futurhebdo.fr
21 octobre 2017, 19 h 11 mi
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Prospective des divertissements

Le divertissement de demain sera spectaculaire, polémique et polysensoriel, immersif et politique. L’hypothèse est ici que le divertissement n’aura bientôt plus pour fonction d’échapper au monde mais d’y participer. De le reconstruire. Il sera le moteur des mutations en cours : éthiques, psychologiques et technologiques.
Retour en arrière
Les civilisations antiques et médiévales, nos racines, partageaient (déjà, comme aujourd’hui) deux conceptions divergentes du divertissement.
D’un côté,
Le bon divertissement, l’oisiveté dynamique
Elle était considérée comme une vertu positive dans la mesure où son but, sa vertu, était de permettre de mieux travailler. Dans une société travailleuse, y compris au plus haut niveau de l’état, il fallait nécessairement s’accorder des moments de détente, une certaine oisiveté (l’otium de Cicéron). Christine de Pizan raconte en 1404 dans Le Livre des fais et bonnes meurs du sage Roy Charles V comment ce dernier se levait à 5h, travaillait de 6 à 11 puis se permettait une saine oisiveté c’est-à-dire de retrouver quelques théologiens discuter de la Genèse dans son royal jardin. Trop cool.
ll y avait donc une morale du divertissement.
Bref se divertir pour mieux travailler. Gloire du travail.
De l’autre,
le mauvais divertissement, l’oisiveté diabolique
On connait l’antienne : l’oisiveté est la mère de tous les vices et le travail le père de toutes les vertus. Caton l’Ancien disait : « en rien faisant on apprend à mal faire » et Hésiode en rajoute : « le travail est la sentinelle de la vertu ».
Dans les traditions populaires allemandes, italiennes, scandinaves, on appelle l’oisiveté l’oreiller du diable : si on occupe son cerveau et son corps on évite de sombrer dans les péchés capitaux.
Le divertissement selon Pascal s’inscrit dans cette perspective : l’homme se protège du désespoir et de l’appel du divin dans le jeu social sous toutes ses formes. Le divertissement selon Debord, également, pour qui nous ne sommes que des pantins manipulés que le spectacle de la consommation abrutit.
En somme se divertir est un danger existentiel,
Nouvelle donne.
Quel est l’avenir de cette tension ? Elle semble résolue par l’affirmation d’une force qu’ignoraient les civilisations passées : l’industrie du divertissement que l’on soupçonne de vouloir dissoudre les valeurs travail et de mettre l’acceptation tragique de la condition humaine au second plan pour faire un triomphe permanent au divertissement.
Elle a un boulevard devant elle:
Le travail est considéré comme un homme malade à qui il faut injecter du bien-être, du bonheur, de la santé pour qu’il conserve un minimum d’efficacité. On cherche à faire oublier son étymologie que l’on soupçonne d’être le tripalium instrument de torture. L’approche actuelle du travail tend à le dédramatiser et à terme à le faire oublier. Mais pas en faisant croire qu’il a disparu… en constatant bientôt sa disparition réelle, effective et définitive.
Il se dit que les robots vont remplacer le travail humain et que l’intelligence artificielle va radicalement transformer le marché de l’emploi si ce n’est menacer son existence même.
On entend çà et là imaginer une organisation sociale qui procurerait un revenu universel, avec la connotation plus ou moins explicite que le travail d’autrefois n’a plus sa place au 21ème siècle.
Bref on envisage une société qui va inverser les valeurs qui l’ont construite.
De fait on va passer de la société du spectacle au spectaculaire de la société hypnotique.
On va assister à la fin du divertissement ponctuel qui agrémente le travail pour voir émerger un divertissement permanent qui occupera l’espace et le temps du labeur qui aura disparu.Certes pour la majorité des gens, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas rois ou ne travaillent pas dans la Silicon Valley ni dans la station F, le travail sert encore à financer les loisirs, à donner accès au divertissement.
A l’horizon rêvé du futur va-t-on arrêter de faire du travail le carburant de la société. On pressent que c’est crédible. Du boulot faisons table rase.
Le divertissement ne sera plus un spectacle que l’on tient à distance mais une expérience que l’on vivra de l’intérieur. Il n’y aura plus de différence entre Netflix et les medias d’information. Entre les œuvres de fiction et le spectacle en direct de la vie quotidienne ( ses drames, ses massacres, ses émotions…) la frontière sera floutée. L’ensemble des informations qui parviendront à notre conscience sera traitée comme un spectacle pyrotechnique interactif. On va basculer des gradins vers la scène. On va se mêler aux acteurs et on ne saura plus distinguer entre le réel ou le fictionnel.
Le divertissement va cesser d’être un spectacle que l’on regarde. Ce sera un évènement qui vous regarde et vous aspire.
L’information est déjà et sera toujours davantage largement mise en scène pour être le plus spectaculaire possible, c’est-à-dire la plus envoutante, sidérante et hypnotique possible.
Quand tout sera spectacle.
Les caractéristiques du spectacle, de la mise en scène ont déjà débarqué sur les plages du temps libre. Ce n’est qu’une tête de pont. Qu’est-ce qui se prépare dans les coulisses ? Quels ingrédients sont convoqués ? Quels indices encore à peine déchiffrables vont faire exploser leurs évidences ? Tout se met en place pour que le divertissement pousse le réel vers la sortie…
Les divertissements célibataires
Comme leurs noms l’indiquent ils concernent l’individu et lui tout seul.
Le divertissement et l’hypnose
Du fanatisme à la folie meurtrière, c’est la réémergence du théâtre de la cruauté par imitation.
Les médias, le regard rivé sur l’audimat – le voyeurisme, souvent inconscient, du public faisant le reste –, créent ainsi des vocations meurtrières par simple contagion . Ceci n’est que la partie immergée. De même que les héros romantiques servaient de modèles à la jeunesse du temps (aboutissant à des épidémies de suicides à chaque réédition de Werther), de même les effets de sidération des posts sur YouTube, des clips sur les médias sociaux créent des effets d’imitation qui poussent les uns à s’attaquer au sabre à Buckingham Palace et les autres à louer des gros camions blancs.
Les divertissements candides des salles de music-hall, des samedi soir à la télé, ne vont pas tarder d’être imprégné de la substance vénéneuse des attentats et faits divers sordides qui suscite l’ émotion collective surmédiatisée qui prépare à ces passages à l’acte.
Le divertissement et le vertige
Ce qui compte c’est d’avoir des expériences extraordinaires, des sensations comme jamais… et de pouvoir les raconter. Pour le moment les Brutal Tours qui baladent les touristes riches et intrépides sur les zones de combat restent plutôt confidentiels. Pas simplement parce qu’ils sont illégaux mais parce qu’on ne revient pas toujours d’un week-end à Mossoul. Bientôt ces touristes en mal de sensations fortes seront-ils embedded dans les milices? Le tourisme de guerre sera l’expérience ultime du spectacle.
Le divertissement et le simulacre
Le corps tel qu’on l’a connu est en voie de disparition. Le divertissement numérique fait déjà la part belle au simulacre : le toucher, l’acoustique, l’optique, tous les retours sensoriels qui fondent notre rapport à la matière telle que nous la connaissons sont convoqués. Sa logique prochaine est le triomphe annoncé des robots sexuels avec dispositifs haptiques sophistiqués.
Les jeux video vont proposer la reconstruction d’une réalité centripète, uniquement centrée sur soi, oublieuse de l’autre, de tous les autres. Les jeux video réduisent la distance psychologique et physique entre l’individu et le media, les casques haptiques ne sont qu’une étape, bientôt la reconstruction de la réalité sera totalement immersive. Avec la projection de l’image directement sur la cornée le virtuel sera le réel. L’écran va disparaitre. Mais ce qui va réapparaitre c’est la nécessité de jouer avec les autres qui ont eux aussi basculé dans cette virtualité.
D’où
Les divertissements grégaires
Ils seront communautaires, fusionnels.
Le divertissement et le maquillage
La mise en scène de soi dans les réseaux sociaux sera de plus en plus spectaculaire, ostentatoire, factice sans doute mais l’écrire est un jugement de valeurs qui ne sera sans doute pas pertinent. Mais les tatouages, les piercings revendiqués comme une manifestation de l’individu sont en fait une manifestation de groupe, tribale, qui permet la reconnaissance d’une appartenance à un clan.
Le divertissement et la vie en groupe… en troupe (de théâtre)
Ces groupes vivent en troupe. On va passer du divertissement nombriliste au divertissement communautaire. C’est la mise en spectacle de cette communauté qui donne envie d’en faire partie, to be part of it . Dans cette logique, la participation à la vie de la cité par des pétitions spectaculaires ( par exemple, faire de Trump le roi couronné de Mar a Logo ) relève-t-elle déjà du divertissement ? C’est une « info action » divertissante au sens premier c’est-à-dire qui fait prendre un autre chemin (que celui des problèmes essentiels). Encore que…
Pour ne pas sombrer dans une vision apocalyptique de notre avenir proche il faut comme disait Camus imaginer Sisyphe heureux :
Le divertissement et l’élévation spirituelle
A côté de l’horreur, surgiront des petites oasis de bonheurs : l’envahissement des pratiques d’apaisement et de développement personnel en vue de l’obtention de la sagesse de l’âme et du corps trouveront leur point G dans l’hyper théâtralisation des discours des grands gurus du temps : retour des ashrams de Yoga Sivananda et des stages Zen en Ardèche.
Le divertissement et l’élévation de l’expertise technique, savante et intellectuelle
Profiter de chaque instant pour apprendre et progresser en connaissance et en sagesse. On commence par soi et ça fait progresser l’humanité. Les MOOC en hologramme préparent le terrain.
Le divertissement ultime est le spectacle (de la fin) du monde
Deux forces sont à l’œuvre et vont définir les scenarios: un divertissement centripète, narcissique, nombriliste dont chacun est l’unique spectateur et acteur et un divertissement centrifuge, fusionnel, collaboratif que chaque groupe culturel (chaque tribu) va organiser.
Quant à la confusion programmée entre divertissement et information, d’une façon un peu superficielle on dira qu’elle l’a été pour des raisons d’audimat. En fait il s’agissait de répondre à l’évolution ontologique vers toujours plus de sidération pour se préparer à la sidération ultime du Retour du Messie qui sera à la fois une expérience personnelle et une expérience collective.

Nan… on blague !!! Vous savez bien que la prospective est une expérience de la pensée…

Le collectif du COMPTOIR PROSPECTIVISTE
(Christian Gatard, Olivier Parent, Jean-Jacques Vincensini)



Femmes urbaines ayant lu des livres et sachant mener conversations cherchent solutions de survie à l’échelle du prochain millénaire. C’est planétaire. C’est jouable. Enquête mythographique.
3 juillet 2017, 7 h 30 mi
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On a 20 ans à Shanghai, 30 à Mexico. Et vice versa. Idem à New York et Abidjan. Partout sur la planète. On a quoi comme (ré)solutions ? Comme pratiques d’existences – avec les (dés)espoirs qui vont avec ?  A quoi carburent les imaginaires ?

Je pars sur le terrain coacher une équipe de consultants anglais qui veulent des réponses à ces questions. Ils paient le voyage, c’est de bonne guerre. Avec ma bonne mine de sociologue prospectiviste un peu décalé, mes cheveux qui blanchissent, et la bonne humeur d’un curieux, pas dupe d’une littérature verbeuse et foisonnante sur « les jeunes » je leur sers de guide – c’est ma couverture officielle la recherche de l’implicite sous l’explicite, du non-dit sous le dit… bref le côté classique d’une enquête classique.

En fait l’aventure est à double fond. En sous-main je mène une mission secrète : poursuivre mon travail de recherche sur les « mythologies du futur », repérer où et comment les « grands récits » du siècle qui vient prennent rendez-vous avec l’avenir. Mythographier le réel. Avec un parti-pris : les jeunes femmes – l’hypothèse était qu’elles représentent un profil en avance de phase.

Dans les deux cas il faut une langue commune, l’anglais fait l’affaire. Avec un biais assumé : ceux qui maitrisent cette langue ont (souvent) un niveau d’éducation et de culture qui favorise l’échange. Il faut sortir du village pour parler étranger.  L’anglais n’est pas une allégeance, c’est un outil, un véhicule, un passeport au moins virtuel. C’est la lingua franca nécessaire pour communiquer sans interprète.

Ce furent des jeunes femmes cultivées, ouvertes sur le monde, souvent déjà ou bientôt dans des professions créatives: design, art, culture, études un peu poussées… et aussi dans le commerce et l’industrie: hôtesse de l’air, vendeuse dans le luxe, commerciales, ingénieurs IT… toutes en construction d’eux-mêmes, de leurs métiers, de leurs territoires. Toutes actrices de leur propre vie. Des femmes qui ne veulent pas s’en laisser conter. Pour les rencontrer j’ai organisé des bootcamps – des conversations pendant des journées d’immersion, d’échanges pour témoigner de qui on est, de qui on veut être.

Le récit du siècle qui vient, elles veulent l’écrire. Elles savent qu’elles se fraient leur chemin dans un monde hostile. Elles ne sont pas dupes, elles non plus. Elles savent qu’écrire leurs histoires ne veut pas dire balayer le passé. Elles s’en imprègnent. Bien plus qu’on ne croit.

Une enquête mythographique, c’est quoi ?

Il y a bien sûr une plongée dans le réel, les rencontres et les conversations, les observations. On s’assied sur une terrasse devant la Moskova, on regarde la mer grise et sombre devant Mumbai, à Shanghai on voit à peine le Yang-Tsé-Kiang intimidé par les tours futuristes de Pudong. Mais on n’est pas là pour faire du tourisme. On est là pour écouter, pour poser deux ou trois questions et laisser se dérouler la conversation.

Et il y a ce qu’on essaie de repérer, en surplomb : comment les récits qui se déroulent ici et maintenant s’articulent (éventuellement) autour des mythologies plus anciennes qui ont pu forger ces mêmes discours. On essaie de voir d’où vient qu’on est comme on est.

Un tour du monde n’épuise pas le sujet mais ça aide à y voir clair.

 

De quoi parle cette femme-monde en devenir ?

 

Elle parle de nostalgie des origines

Les jeunes filles de Djeddah, dont les voiles noires cachent en début de journée des ensembles Gucci qui peu à peu se laissent voir, m’interpellent: nous sommes bédouines! disent-elles. Je m’étonne encore que les autorités locales qu’on sait sourcilleuses m’aient laissé tranquille et seul avec elles toute cette journée. Elles rient aux éclats de cette liberté qui leur est donnée de parler librement, avec un occidental inconnu, des campements dans le désert. Elles s’en revendiquent les héritières et les dates et le miel incarnent – disent elles sans sourciller – l’idée du bonheur. Demain, dans leur avion vers Londres, elles vont monter la passerelle, hijabs au vent.  A peine installées dans le confort de la classe affaire elles vont le faire disparaître au fond de leurs sacs pour sortir les tenues girly les plus branchées de leur double vie londonienne.

Le soir je suis allé́ boire le thé et fumer le narguilé́ sucré sur la place publique. Les seules femmes présentes – voilées niqab – étaient les mendiantes et, devant moi, les lampions éclairaient la place des exécutions publiques.  Les imaginaires et le réel clachent sec à Jeddah.

A Mexico, on se clame fièrement Aztéques! On évoque les breuvages bio des ancêtres.  Aguas Frescas et Acqui de Horchata symbolisent ces nostalgies. Monica arbore fièrement un tatouage de la déesse aztèque Xochiquetzal, la déesse de l’amour et de la beauté́, protectrice des artisans, des prostituées et des femmes enceintes. Elle se considère « connectée à Dieu et à la plus importante force de l’univers, l’amour ». Les mythologies des grands anciens inspirent la thèse qu’elle écrit sur « l’éveil universel de la conscience ». Elle croit profondément à « un nouvel âge de l’humanité́ » une fois que « la crise de la modernité́ sera dépassée ». Elle pose l’hypothèse que « l’Amérique Latine va contribuer à retrouver les sagesses antiques ». Elle évoque sa communauté́ d’amis à Mexico qui partage ses convictions. Elle vient d’avoir une petite fille et cette expérience participe de ses convictions. Une idéologie post-new-age envahit la planète.

Ces passés lointains me semblent bien idéalisés. N’y aurait-il pas un peu de naïveté dans l’air ?  Ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Le sable brulant du désert, le couteau sacrificiel des Aztèques ne devaient pas être des parties de plaisir mais vous avez entendu parler d’euphémisation? C’est vieux comme le monde. Les épisodes de violences antiques, de temps difficiles et rugueux sont transformés peu à peu, modifiés, adoucis dans la mémoire et la pratique collective. Du sacrifice humain vers le sacrifice animal puis vers le symbole du sacrifice, ça calme.

C’est que partout ces jeunes femmes cherchent à se réapproprier leur histoire commune, à remonter le temps, à revitaliser des racines sans avoir peur des clichés – cela n’est pas frileux, ringard ou rétrograde. C’était une inscription joyeuse dans le temps long de l’histoire.

 

Pendant qu’elles vitupèrent contre le traitement fait aux Pussy Riots les jeunes Russes convoquent avec force clins d’oeil amusés les babouchkas d’avant les Soviets à Moscou. Ce culte de la grand-mère ressemble à s’y méprendre avec celui de la déesse mère – il importe peu que les figures ancestrales de la féminité aient dominé ou non en des temps antiques plus ou moins mythiques. Ce qui compte aujourd’hui c’est que ces figures soient convoquées pour un job tout à fait nouveau. Les divinités féminines se retroussent les manches et se mettent au boulot.

 

Elle parle de double appartenance

Si les jeunes londoniennes ont fêté le Jubilé d’Elizabeth avec la même fierté qu’elles le firent pour Victoria un siècle auparavant, elles ont fait aussi un triomphe aux Jeux Olympiques. L’image est saisissante : on appartient à une histoire ancienne et puissante qui continue de créer du vivre ensemble local et cela cohabite avec l’accueil enthousiaste de la mondialisation sportive: globale.

Partout s’exprime une passion profonde pour sa ville (peut-être plus même qu’à son pays) qui fait de chacune une sorte de cité-royaume, un bassin de vie et de culture sorti d’un conte moderne, une cité qui fait office d’aimant – office d’amant – qui fera toujours revenir à elle. Le retour à la ville natale est vécu comme une loi de nature.  Là d’où je viens est un haut-lieu quasi mystique, profondément aimé, contesté aussi, challengé toujours, qui est le centre de leur monde.  L’équipe de foot comme totem.

Et à côté de cet enracinement dynamique[1] , s’exprime un puissant sentiment d’appartenance au monde car voyager et découvrir le monde entier fait partie de l’initiation nécessaire, attendue, souvent réalisée, toujours rêvée. Le voyage immobile que permettent les tablettes, les smartphones, les consoles qu’elles possèdent tous, ne suffit pas. Il faut sentir, toucher, s’imprégner du monde réel… Il faut aussi pouvoir le revendiquer – connaître le monde, raconter ses voyages, est un argument de vente de soi dans toute activité contemporaine qu’elle soit alimentaire ou affective : la recherche d’un job, d’un ami FaceBook…

Leur rapport aux nouvelles technologies est plus stratégique qu’émotionnel – c’est leur efficacité qui compte. Elles sont à leur service : les nouveaux esclaves digitaux  ont intérêt à bien se tenir… même si parfois, ça et là, apparaît une fatigue du high tech et un besoin chuchoté de retrouver vérité et simplicité. En tout cas cela pourrait devenir assez chic de le prétendre… quant à se débarrasser de son Iphone ou de son Androïd… personne ne l’envisage vraiment. Ce sont des instruments de lien. Le soi-disant enfermement numérique qui les éloignerait du monde réel pour en faire des zombies digitaux ? Non. Ca, c’est le regard des anciennes générations. La jeunesse-monde chevauche les écrans comme le shaman son tambour.

 

Elle parle de culte du groupe, de la tribu. Se retrouver ensemble pour une journée était un formidable stimulant émotionnel et mental.  Le fait d’être en groupe correspond profondément à ce qu’elles sont, à ce qu’elles aiment, à la façon dont elles fonctionnent… Pas question pour autant d’exclure les hommes. Certains se joignaient à nos conversations. Pas de discrimination. L’expérience du groupe consolide l’indépendance, l’esprit pratique, la mobilité, la volonté de se prendre en main – avec le sentiment d’appartenir à la communauté internationale de la jeunesse. Fascinante stimulation aussi bien locale et globale.

 

De quoi cette jeunesse-monde est-elle le nom ?

 

D’un incroyable enthousiasme qui contredit toutes les trompettes du pessimisme qui résonnent du côté de chez nous. Une foi en l’avenir, même chez Poutine, même chez les Mollahs, une façon de rebondir avec fierté sur les Jeux Olympiques à Londres, l’Expo Universelle à Shanghai, l’éternel et toujours très contemporain carrefour du monde qu’est Istanbul.

Cette jeunesse-femme-monde est aussi pleine d’une ironie souveraine et mordante devant les adultes qui se prennent pour les maîtres de la planète – là encore (et avec un humour pas toujours prudent me disais-je parfois ) aussi bien à Djeddah qu’à Moscou ou Shanghai. J’aurai pu imaginer qu’on s’inquiète, histoire de se faire un peu peur, que les puissances locales s’intéressent à ces évènements minuscules qu’étaient ces bootcamps : les barbus à Djeddah, la police de Poutine à Moscou, le Parti à Shanghai, quelques intégristes à Istanbul, voire les mafieux de Mexico… Ces forces obscures flairent le danger mais elles ne peuvent pas comprendre ce qui se déroulait dans les bootcamps. Moi-même je n’en suis pas certain. Etaient-ce les grandes manœuvres secrètes de jeunes filles s’apprêtant à prendre les rênes du monde, nouvelles amazones n’ayant peur de rien. Les émeutes de la Place Tahrir au Caire ou de la Place Taksim à Istanbul allaient ouvrir le bal. Après la Place Tien An Men. Ou, plus qu’une récrimination contre la rigidité de leur société, était-ce plutôt une façon maligne et complice de jouer avec les codes, le triomphe de l’ironie, oui, comme seule réponse efficace que concoctent ces sourires enthousiastes, rapides et furtifs …

 

A Shanghai, Shin-Lin me propose de visiter le quartier des artistes d’avant-garde de MoganShanLu. Dans la Galerie Island 6, je suis invité à téléphoner à un numéro qui s’inscrit au dessus d’un tableau[2][3] qui semble être un hologramme – une femme dans une cage, une belle femme sexy dans sa robe rouge, le visage inquiet, regarde vers le ciel. Rien ne bouge. Je compose le numéro et tout à coup l’image s’anime. Des flammes entourent alors la femme, elle pousse des cris, elle cherche à s’enfuir en escaladant les barreaux de la cage. Je laisser sonner trois ou quatre fois. Je me dis que ça suffit comme ça, que cela doit être la règle du jeu, que de laisser sonner davantage va me faire accuser de sadisme, que sais-je ?…. je raccroche. Et dans la seconde qui suit, le tableau me renvoie un texto en anglais et en mandarin : that wasn’t enough to set me aflame !!!! Traduction possible : il m’en faut plus pour m’exciter.

A Casablanca, sous les murs du Rick’s café et les regards croisés de Bergman et Bogart,  Majda m’interpelle sur les symbolismes de l’oxymore qu’elle étend à sa vision d’un monde qu’elle veut surplomber. La Vieille Medina nous nargue sur les murailles de laquelle elle veut danser en défiant les ombres d’en bas. Les légendes s’empilent. Brillante, vitupérante, la jeune étudiante semble en permanence braver les interdits – et pas seulement ceux qui semblent recouvrir le monde musulman. Ce qui la fascine dans cette figure de style c’est sa capacité à surprendre sans cesse, à proposer des contradictions fertiles.

D’Istanbul Neslihan m’envoie des textes qui sont des concentrés de souffre pur. Pendant que la ville brûle et que Daesh mitraille, l’adolescente fourbit ses armes : ses  rendez-vous avec le futur vont être décapants.

Cette génération est impolie. Elle nous prépare quelque chose. Elle est en embuscade. Elle ne va pas nous lâcher. Car en même temps elle est agent double. Elle puise à tous les râteliers. Leur idéalisme politique ou spirituel ne les empêche pas d’avoir des principes de réalité bien ancrés… et des ruses dignes d’Ulysse. Leur cheval de bois dans la ville de Troie n’est plus la sculpture monumentale que raconte Homère.  C’est la mise en spectacle de leurs transes shamaniques – version triple shots de vodka et binge drinking si besoin, leur esprit de fête, la mise en scène d’un besoin de partage, de sensations et, entêté́, universel, d’un besoin d’authenticité́, de naturel.

J’ai vu – partout – ce retour aux origines, ce culte des ancêtres revu et corrigé pour le siècle qui vient. Sous des dehors ingénus, voire candides cela nous prépare une belle empoignade. L’exaltation, la créativité ne seront plus un spectacle auquel nous croyons assister. Ce sera leur ruse ultime. De ce cheval de Troie descendront les nouvelles Lilith, première femme d’Adam que l’on a traité autrefois de maléfique, accusée d’être le serpent provoquant la chute d’Eve, d’avoir été la Reine de Saba, la tentatrice. Créatives, impertinentes et facétieuses, elles vont changer les règles du jeu. Les masques vont tomber. Et les traits de la sorcière morpher en fée. Barbus intégristes, apparatchiks corrompus d’un côté, politiciens normaux de l’autre n’ont qu’à bien se tenir.

Vous n’y croyez pas ?

Vous pensez que tout  ceci est du wishful thinking, des vœux pieu, une incantation. Vous vous dites que les barbus ont des kalachnikov et tirent à vue, que les apparatchiks des comptes en banque et les clés du coffre.

Patience. Il y a un récit auquel on n’échappera pas et qui sera peut-être la signature mythique de ce début de siècle:  l’allégeance rebelle.

C’est l’idée qu’il faut bien faire allégeance à un certain nombre de choses: la planète qu’il faut protéger ; les estomacs qu’il faut remplir ; la technologie qui n’en fait qu’à sa tête; le monde qui est cruel et injuste … Cette génération a mieux à faire que s’indigner. Elle va introduire, à l’intérieur du système, des interférences, des courts-circuits et autres facéties créatives. Ma conviction est que ces femmes vont prendre de l’avance sur le futur en rejetant les conventions, en apportant à leur environnement une énergie inspirée par les meilleures pratiques du monde contemporain, par les expérimentations sociétales réussies où que ce soit dans le monde. Cette génération est là pour inspirer, impulser, tenter des coups, jeter les dés…on n’anticipe pas le futur, on le crée ! Face aux fractures de plus en plus béantes et à la barbarie que les médias mettent en scène, elle va créer des sutures qui seront des sources d’inspirations …

 

 

 

 

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Christian Gatard a publié une douzaine de livres, romans, récits et essais.  Sociologue, prospectiviste, entrepreneur dans le domaine des sciences humaines, il parcourt le monde en permanence.

 

 

Ses études de littérature anglaise et de sociologie s’enrichissent dès le départ d’expériences diverses. L’année 1969 est consacrée à Steve McQueen qu’il accompagne en tant qu’interprète sur un film. En 1971, lecteur de français en Corée du Sud, il rentre en délicatesse avec l’Ambassadeur de France après un dîner où leurs conceptions de l’ésotérisme élisabéthain ne concordent pas.

De retour en France il traduit des essais de psychanalyse qui paraissent chez Calmann Levy. Il crée bientôt avec quelques amis, en parallèle avec son Institut, dans un loft sur le Canal St Martin, « Au Lieu d’Images » un garage à musiques, théâtres et arts plastiques. Il monte des installations sur l’imaginaire des objets aratoires, puis sur les bêtes à cornes.

Profitant de nombreuses missions d’études en Asie, il visite Bornéo à de nombreuses reprises, de 1980 à 1995. Il invente la réactique transculturelle, une confrontation des objets de la consommation occidentale avec les tribus primitives de Bornéo. Il raconte ces aventures dans Bureau d’Etudes, récit autobiographique, paru en 2008, aux Impressions Nouvelles.

En 1999 il publie L’Ile du Serpent-Coq, un roman également inspiré de ses périples au Sarawak et au Kalimantan.  De Conchita Watson le ciel était sans nouvelles  parait en 2001, et en 2003, En respectant le chemin des Dragons. Ces trois romans se réfèrent au réalisme fantastique.

Le Peuple des Têtes Coupées, un essai sur les mascarons, paraît en 2005 chez Coprah et Nos 20 prochaines années, essai de prospective buissonnière, est publié en 2009 chez Archipel. En 2010 il contribue au Dictionnaire de la Mort chez Larousse et Jean Daniel Belfond, fondateur des Editions l’Archipel, lui confie la collection Géographie du Futur. En 2012,  il participe aux livres collectifs Manuel Social Media Marketing, Comprendre les Réseaux Sociaux !  et  Clés de la Mutation. Mythologies du Futur, son nouvel essai de prospective, est publié en 2014. Rupture vous avez disrupture (2015) et Chroniques de l’Intimité connectée (2016), deux essais collectifs du think tank Les Mardis du Luxembourg sont publiés aux éditions Kawa. Il vient de recevoir le prix Trinakria 2016 décerné par la ville de Catania pour son récit Archéologie d’un futur sicilien.

 

[1] Comme dirait Michel Maffesoli pour souligner que le passé, l’enracinement est porteur d’une énergie constructive

[2]  le voyage a commencé par Londres, New York, Mexico, Bombay, Shanghai, Moscou, Istanbul, Djeddah, puis Lomé, Abidjan et Bouaké, Casablanca, il s’est poursuivi par des échanges par mail.

[3] de Liu Diao



Conférence à Casablanca
8 avril 2016, 13 h 24 mi
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http://socialimpulse.net/interview-de-christian-gatard-sur-la-marque-digitale/INTERVIEW DE CHRISTIAN GATARD SUR LA MARQUE DIGITALE

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Pourquoi la digitalisation des marques s’impose-t-elle et s’accélère ?

La société d’aujourd’hui est définie par certains sociologues comme hyper moderne ou même «liquide ». Le comportement du consommateur change. Le consommateur d’aujourd’hui apparaît multiple, informé, volatile, paradoxal. Il zappe au gré de ses envies et de ses intérêts. Comment le cerner, l’approcher, le comprendre… pour le convaincre et le fidéliser ?

Internet est à la fois le problème et la solution. C’est lui qui change le monde et c’est là qu’on doit accompagner les changements du monde.

La nature même d’Internet nous oblige à nous placer du point de vue de l’utilisateur.

«La prochaine génération d’Internet deviendra le média le plus puissant de l’histoire, parce qu’elle fusionnera l’imprimé, la télévision, le téléphone, la radio et l’ordinateur.»

Avec l’i-pad, cette nouvelle génération d’Internet est là.

L’effet de «bouche-à-oreille» des médias sociaux va s’amplifier.

Et Internet sera – nous en sommes persuadés et nous voyons cette dimension émerger tous les jours – un formidable outil  de créativité personnelle, de connections , et de vivre ensemble dans le monde réel.

Comment peut-on intégrer ce concept dans l’ADN et la stratégie de marque ?

Le consommateur nouveau est arrivé. Il faut aujourd’hui: entrer en conversation avec lui, l’accompagner dans ses nouveaux modes d’expression, explorer ses préoccupations autant que sa sagacité et sa curiosité, le valoriser comme partenaire de la recherche… et utiliser les medias qu’il utilise. Toute stratégie de marque est une stratégie de conversation

Il faut interroger la notion de transparence et ses limites :  tout est dit, écrit et publié sur tout dans l’instant et par tous. Comment allons-nous, en tant qu’individu, citoyen, consommateur, gérer cette transparence?  Il faut sans doute en envisager l’implosion prochaine. Puis renons conscience que se construit dès aujourd’hui l’hybridation du monde  (hybridations des cultures, influences et inspirations venues d’ailleurs, rencontre homme/machine à travers les promesses « étranges » du transhumanisme). Enfin surveillons  ce que je nomme l’ère de l’allégeance rebelle. C’est l’idée qu’il faut bien faire allégeance à un certain nombre de choses: la planète qu’il faut protéger ; les estomacs qu’il faut remplir ; la technologie qui n’en fait qu’à sa tête; le monde qui est cruel et injuste … Et c’est surtout l’idée qu’il y a mieux à faire que s’indigner. En prenant de l’avance sur le futur en rejetant les conventions, en apportant à l’entreprise une énergie inspirée par les meilleures pratiques du monde contemporain, par les expérimentations sociétales réussies où que ce soit dans le monde. L’allégeance rebelle est là pour inspirer, impulser, tenter des coups, jeter les dés…on anticipe pas le futur, on le crée!

On va à la fois reconnaitre que les forces de l’histoire sont irrésistibles, que les mythes anciens sont les scripts du futur… et qu’il faut – car c’est dans la nature de l’homme – les contester. Chaque homme est un artiste qui doit trouver son art…  Donc je suis positif.

Qu’est-ce qui permet de garder espoir?

Le fait que toute époque est un moment de mutation qui a toujours été vécue avec un peu d’effroi mais que l’idée d’une Renaissance permanente est profondément ancrée dans l’âme humaine et que l’humanité a toujours survécu à ses crises. Nous avons sans cesse à apprendre du reste du monde. Les nouvelles technologies vont nous aider car la puissance des machines pourra être mises à notre service dans l’ombre, dans l’intimité des hommes de bonne volonté.  Des artistes “poly-industriels”, des  chercheurs, des techniciens, des savants inconnus encore sauveront le monde par petites touches, sans effet de manche et avec passion…

Qui sont les ressources concernées en entreprise par cette transformation ?

L’entreprise doit prendre conscience que c’est la totalité des ressources qui est concernée. Marketing et commerciaux, ingénieurs et ouvriers, directions générales et secrétariats , c’est l’entreprise en tant qu’entité vivante, « organique » c’est à dire objet vivant dont tous les organes comptent , qui est en jeu.

Les générations Y et Z sont-elles pour quelque chose dans cette évolution des marques ?

Elles seront , elles sont déjà, essentielles. Les nouvelles technologies sont pour elles une évidence  avec une externalisation de leur cerveau dans leur poche. Leur quête de plaisir et d’émotions fortes domine :  hédonisme,  sensationnalisme, expérimentation. Leur curiosité insatiable va accélérer leur tendance au zapping tant au niveau personnel que professionnel. Elles sont à la fois individualistes et tribales le « moi-je » et le « nous tous » convergent. Solidarité et égoïsme cohabitent. C’est une dynamique sociétale que toutes les entreprises devront prendre en considération.

Quelles perspectives et quelle prospective feriez vous pour les marques digitales ?

La survie des marques est dans le digital mais pas dans l’exclusivité du digital.

Il va falloir s’habituer à surfer en permanence sur ces mutations de plus en plus rapides, de plus en plus étonnantes, de plus en plus fécondes. L’humain sera plus que jamais au cœur du digital et cela devra se traduire dans la communication, dans les RH, dans la construction des images de marques. La pub traditionnelle est en train de se repenser… bref il y a là un vaste de champ de curiosité, de réflexions, de scenario – les marques vont devoir choisir leur « grand récit ». Parmi les récits du futur je distingue trois grands territoires, historique, ludique et océanique, qui prennent sans doute en compte les besoins d’appartenance, d’estime de soi et de connaissance. Chaque marque doit choisir celui qui convient le mieux à son accomplissement.

Est-ce suffisant ?

Pour que les marques ne soient pas que l’emblème d’un savoir-faire mais qu’elles participent d’un savoir-être qui sauve la planète de ses fractures et de ses indigences, il faudra passer à un autre registre. On sera peut-être un jour plus vieux, plus sage qu’autrefois et , peut-être, plus sensible au monde qui nous entoure, plus collectif, plus national probablement mais plus citoyen du monde sûrement. Les marques océaniques auront une saveur transculturelle avec une légitimité? planétaire. Les marques historiques ajouteront la patine d’ancêtres retrouvés dans les arbres généalogiques que seul Internet, la bibliothèque-monde, pouvait révéler. Les marques folkloriques  insuffleront de  l’impertinence, de la créativité, de l’allégeance rebelle.

Christian Gatard

Conseil en prospective et innovation. Ses « conférences-performances » font comprendre les mutations en cours. Il a publié une dizaine de livres, romans, récits et essais dont Nos 20 prochaines anneées, le futur décrypté, (2009), Mythologies du Futur (2014) et Rupture vous avez disrupture (2015).



L’influence, la civilisation, le cholestérol et Shéhérazade
13 février 2016, 11 h 12 mi
Filed under: Actualité et nouveautés

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Proposition de Christian Gatard

 

L’influence est civilisatrice, Shéhérazade aussi.

L’influence c’est ce qui nous surplombe et nous observe, nous guette et nous prend au dépourvu. C’est la matière brute de la civilisation. Pour le pire et le meilleur. C’est l’histoire du bon grain et de l’ivraie.

L’influence est civilisatrice.

C’est comme le cholestérol

Il y a le bon :

Depuis la nuit des temps elle crée de la matière culturelle. Son économie fonde la vie en société. Elle façonne les convictions qui fabriquent des comportements qui produisent de la conformité. La conformité ce sont les règles du jeu qui produisent un environnement culturel : de l’affinité, de la ressemblance, de la cohésion. Si vous êtes en conformité, c’est que vous avez passé l’examen de reconnaissance publique. Vous êtes certifié conforme. Vous êtes habilité à faire partie de votre environnement. Bref vous fabriquez du civilisé. Merci Aristote qui fonde les bases de La Rhétorique. Cicéron (in www.unige.ch ) lui attribue un rôle central dans la vie du citoyen romain. Celui-ci est en effet appelé à s’exprimer efficacement en matière politique, juridique ou économique. Quel que soit le sujet abordé au forum, autrement dit sur la place publique, le citoyen romain parfait doit donc toujours pouvoir exprimer son point de vue et, autant que possible, le faire partager aux autres. La rhétorique lui donne précisément les moyens de s’exprimer efficacement. Elle s’étend plus généralement à l’art de persuader, d’influencer le destinataire du message par toutes sortes de techniques, verbales et non verbales.

L’influence, elle vous saute aux yeux quand vous visitez Le Louvre. Chaque siècle, chaque culture a ses salles qui ont chacune une identité « influencée » par l’air de leur temps, leur ZeitGeist. De toutes façons vous ne pouvez pas faire autrement. Warhol, ça n’aurait pas marché sous Louis XIV. L’influence esthétique suggère l’imitation d’une œuvre ou d’un style par un admirateur, ou du moins la reprise de thèmes et codes d’un auteur ou d’une école. Influencer, c’est être admiré ou imité.

Dans la pensée chinoise, l’influence, c’est une vision générale des relations humaines, une pensée de l’opportunité, de l’efficacité et de l’incitation (in www.huyghe.fr,) . Gérard Klein, écrivain, anthologiste, économiste, prospectiviste, théoricien pose la question : “Un être humain isolé peut-il penser ?”. Il y répond par la négative : pour penser, un être humain doit posséder le langage. Le cerveau apprend le langage en recevant des informations de son environnement et de son groupe social. Les sources “extraordinairement multiples” qui nourrissent le cerveau sont émises par ce que Gérard Klein appelle les “subjectivités collectives” et qui, elles-mêmes, naissent des relations qui structurent le groupe social. La conscience, la pensée n’est possible que parce “chacun de nous est un ensemble de subjectivités collectives” (in http://www.peiresc.org/, séminaires fréquentés par l’auteur ). L’influence sociale fabrique de l’imitation et de la conformité autour d’un projet collectif. L’influence génère un vivre ensemble, une culture, une civilisation.

L’influence est aujourd’hui considérée comme la caractéristique des sociétés contemporaines: fabriquer du spectacle, du pouvoir, de la sidération, du désir.

Le mythe de l’éternelle jeunesse, le mythe de la performance sexuelle, le mythe de l’amour romantique, le mythe de la puissance automobile et celui de l’harmonie sociale… James Bond, Barbie, les motos Harley Davidson sont autant de récits qui véhiculent des idéaux sociétaux et influencent les us et coutumes.

Ce fut aussi le rôle des mythes qui transmettaient la compréhension antique du monde. Rien de nouveau sous le soleil.

Il y a le mauvais :

Le conformisme. C’est quand cette conformité devient dictatoriale. L’influence a toujours été considérée, par ses détracteurs, comme une technique de «manipulation». Aujourd’hui la rhétorique a plutôt mauvaise réputation. Elle est synonyme d’hypocrisie, de mauvaise foi.

On s’en méfie au motif qu’on estime ne pas devoir se laisser dicter nos pensées et nos actes. L’individualisme triomphant fils de la Renaissance et des Lumières ne veut pas se soumettre à l’influence des autres. La révolution romantique entérinera les valeurs de spontanéité et de sincérité. Le conformiste s’est laissé berné par les influenceurs. Il a perdu pied. Le conformiste est le grand manipulé, noyé dans des tsunamis d’influences. Mais qui lui jettera la pierre ? On a tous une influence qui s’empare de nous à un moment ou un autre.

Il y a le pire :

Cortes débarque au Mexique en 1521 avec sa politique de table rase des croyances indigènes. Les Missions débarquent dans les mondes nouveaux, la colonisation bat son plein.

Influencer c’est massacrer les croyances et les humains.

Les mythes complotistes fabriquent de la haine sociale. Massacre du bon sens. Les théories du complot font le lit des tyrannies. Torquemada et l’Inquisition, Daech et ses couteaux… leur évocation décourage l’idée même d’utiliser le mot influence qu’on leur accole.

*

Les Grecs ont ouvert la voie aux premières techniques d’action sur le psychisme humain. Après eux propagandistes, publicitaires et autres manipulateurs ont cherché à reproduire à l’usage des foules et avec des moyens de masses ce que les orateurs athéniens faisaient à des individus en face à face. Il existe une tradition intellectuelle grecque de la ruse (la métis), avec une foule d’exemples que nous appellerions aujourd’hui de désinformation, d’intoxication, d’action psychologique…(in www.huyghe.fr, )

Une seconde ! Cette lecture pessimiste et désabusée de l’influence est un peu courte.

Le Conte du Graal de Chrétien de Troye?

Werther de Goethe ?

René de Chateaubriand ?

Ivanhoé de Walter Scott ?

Autant d’œuvres « influentes » qui ont radicalement « informé » leur temps, et bouleversé les cœurs et les mœurs.

*

Il faut repenser la métis et convoquer à nouveau la déesse. Métis est la personnification de la sagesse et de l’intelligence rusée. Pas si mauvaise fille que ça. La ruse sera notre meilleure alliée. Avec la physique quantique et l’astrologie pour témoins. La physique quantique parce que c’est le récit mythique des temps à venir. L’astrologie parce que la pensée magique fait son retour.

En physique quantique, http://www.inrees.com/articles/Esprit-matiere/ on avance que les caractéristiques de l’objet réel ne «naissent» qu’une fois réalisées les mesures permettant de les mettre en évidence. Autrement dit, l’objet réel reste suspendu dans un flou de potentialités tant que personne n’a décidé de le voir, le toucher, le mesurer. Et s’il en était de même avec les influences ? Et si l’on était plus malin qu’elles ? Et si on laissait passer la caravane des mythes sulfureux et délétères pour ne laisser advenir que ceux qui sauvent le monde ? La balle est dans notre camp pour décider des influences et des légendes qui vont faire le job.

En astrologie, étymologiquement, influence renvoie au fluxus, cet influx invisible qui était censé descendre des étoiles et changer le destin de chacun, du moins c’est ce que l’on croyait au XVII° siècle, quand le mot influence apparaît dans notre langue. (in www.huyghe.fr, blog décidément inspirant). Le cosmos, les étoiles, offrent tous les jours des surprises sidérantes qui semblent remettre en selle la pensée magique antique. L’influence des astres sur nos comportements ne serait pas une pensée si absurde. Certes, il faut ruser et naviguer entre charlatanisme, fictions et réalités à découvrir. Mais aussi admettre que le poids des puissances symboliques et des imaginaires sociaux – le légendaire au cœur des influences qui font une civilisation – sera la clef de notre destin.

Et nous pourrons écouter Shéhérazade raconter mille et une nuit les histoires qui endorment le sultan pour qu’il se réveille apaisé et qu’il renonce à ses massacres.

(une première version de ce texte est paru dans INfluencia)

 



Au nom d’Alexandre
22 janvier 2016, 17 h 52 mi
Filed under: Actualité et nouveautés

Au nom d’Alexandre

d’Olivier Auroy

aunomd'alexandre

Qu’est-ce qui fait d’AU NOM D’ALEXANDRE un livre absolument juste, pétillant, hilarant, émouvant et cathartique ?

C’est la question qui m’a accompagné tout du long de la lecture – sans jamais la gâcher, plutôt en la stimulant.

Il y a d’abord, d’entrée de jeu – et je ne spoile rien, c’est la première phrase – la narratrice – Fanny . Son job est d’écrire la vie d’Alexandre qui est en fin de vie. Belle invention littéraire : raconter épuise Alexandre et c’est pourtant cela même qui le maintient en vie. Il y a là quelque chose de léger et grave qui est la couleur même de ce récit tout en tensions de la même qualité. C’est peut-être ça qui en rend la lecture jubilatoire et mordante. Car une autre tension vient se greffer sur la première – ce pour quoi et ce comment la vie d’Alexandre fait sens : le mot, les mots, l’invention des mots qui commencent par être une passion puis devient une profession et reste une adoration. Alexandre dévoile à Fanny une série de mots inventés (tous plus malins et pertinents les uns que les autres) pour des situations de la vie quotidienne, pour des produits de consommation, pour des cocktails… et peu à peu pour des causes de plus en plus conséquentes – des armes de destruction plus ou moins massive jusqu’au nom du … non là il ne faut pas spoiler car quand on arrive à ce stade du récit je suis devenu Fanny. J’ai eu sa curiosité et son empathie envers Alexandre, j’ai découvert séance après séance son don pour les mots, le jeu avec les mots, sa capacité à nommer les choses, avec science, humour et pertinence. Comme elle j’ai admiré et aimé ce mourant vitupérant et flamboyant. Comme elle j’ai été fasciné par le récit d’une vie à rebondissements, inspirée et traversée par des personnages formidablement campés – les deux grands-pères, la femme de sa vie, l’ennemi, les copains…

Et puis dans les interstices du récit se tisse une ultime tension que l’auteur aborde avec une infinie délicatesse, l’air de ne pas y toucher et qui pourtant dégage une émotion puissante au terme d’une lecture haletante: l’invention des mots c’est la création du monde. Alexandre, inventeur de mots, a quelque chose d’un démiurge – le dénouement le suggère avec autant d’émotion que d’humour. Bien sûr Olivier Auroy est bien trop subtil pour le dire aussi sentencieusement. AU NOM D’ALEXANDRE est tout en nuances … et en coups de poing. Une lecture stimulante, inspirante.

http://livre.fnac.com/a9204398/Olivier-Auroy-Au-nom-d-Alexandre

 



Le Big Data , les devins , Sherlock Holmes et les autres…
12 janvier 2016, 17 h 15 mi
Filed under: Actualité et nouveautés

bigdataLe Big Data : quelle aubaine pour les  chercheurs en mythologie et en imaginaire !

La nature du Big Data n’étant pas bien facile à cerner pour le grand public,  les mythes d’aujourd’hui font leur miel de cette incertitude. Les medias s’emparent du sujet, le buzz internet le crée ou le prolonge, Hollywood le dramatise (Orwell continue d’inspirer les visions d’un futur terrifiant à base de surveillance généralisée, de maîtrise du cosmos grâce à des ordinateurs surpuissants… ),  les plus optimistes l’idéalisent (repérage de l’âme-sœur ou  détection des catastrophes grâce à des terraoctets d’information …).

Entre l’option utopique et l’option dystopique, la représentation qui a une petite longueur d’avance, c’est tout de même que chacun se croit (voire se sait) cerné, repéré, ciblé dans son scenario de vie, surveillé par une « puissance de calcul » dont les pouvoirs sont quasiment divins. Et en l’occurrence aux mains des Dieux du commerce surtout attentifs à en tirer partie pour leur chiffre d’affaire ou des Dieux du politique pour la sécurité de leurs territoires. Le Big Data surplombe l’imaginaire contemporain sans qu’on sache encore très bien s’il est une menace sur nos libertés ou une possibilité de sauver le monde. Relève-t-il d’Hypérion,  dieu de la surveillance et de l’observation ?

Le Big Data est-il la figure contemporaine digitalisée d’un dieu unique omnipotent, omniscient, omniprésent ? D’ailleurs à l’égal de tout dieu qui se respecte il a sa part d’ombre, d’incompréhensible, voire d’improbable. Le buzz du moment c’est qu’il repère la totalité des informations disponibles dans le monde pour savoir où je vais acheter mon prochain paquet de lessive (ma prochaine voiture, ma prochaine recharge de e-cigarette). C’est un peu réducteur mais les buzz ne sont pas souvent charitables. On peut comprendre : le plus spectaculaire du Big Data est son exploitation par un marketing de la consommation avide de cerner qui je suis, quand je suis, comment je suis, où je suis… et me prendre dans ses filets. Bref me comprendre, prédire mes actes, me vendre quelque chose.

Comprendre, prédire et réagir : trois termes qui semblent fonder le récit mythologique contemporain du Big Data…

Laissons un instant le côté inquiétant du système.

Qu’est-ce qui est en jeu ici pour le mythologue ? N’est-ce pas précisément le retour durefoulé mythologique ?

La fonction de l’oracle dans la mythologie grecque est fondamentale et notre culture contemporaine est réputée devoir tant et plus à la Grèce Antique. Le Big Data recycle-t-il la fonction de l’oracle dans la mythologie contemporaine ? Ce serait bien dans l ‘air du temps qui aime tant recycler.

Le Big Data se fait résolument oraculaire. Et on y croit. Et on a peut-être raison. Car tout cela est assez convaincant. N’est-ce pas ainsi qu’a été prévue la victoire d’Obama ? En son temps, à Delphes, la Pythie est crue. On en sourit aujourd’hui mais il y avait des gens pour agir selon l’oracle. Calcas, autre devin de renom, avait reçu d’Apollon la science, du passé, du présent et de l’avenir et en discutait avec Agamemnon et Ulysse.  Des gens sérieux. Restons dans les mythologies mais plus récentes. Hari Seldon est le héros de la saga de Science–Fiction d’Isaac Asimov, La Fondation. Il est le génial inventeur de la psychohistoirequi se targe de prévoir l’avenir grâce à sa maîtrise des probabilités statistiques.

Il y a entre les mythes antiques et la SF une complicité éclairante. Elle rappelle que comprendre, prédire et réagir sont les moyens que l’espèce humaine se donne (s’invente ?) pour tenter de naviguer dans des temps incertains et dans la brume opaque du futur.

Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de noter que le terme de Big Data s’incrit dans une famille de vocabulaire ayant une grande ambition dramatique, voire théâtrale. Le Big Bang des grands commencements de l’univers devait avoir une certaine gueule, le Big Crush (pour ce qui est de la fin, parfois en concurrence avec le Big Chill ou le Big Rip) ne sera pas moins spectaculaire. Comme le Big Mac. Notre époque est friande de sensations fortes. Ces évènements cosmiques sont très impressionnants. Ce ne sont peut-être que des hypothèses mais ce qui frappe l’observateur c’est la gourmandise contemporaine vis à vis du wouah effect,  c’est la fascination vis à vis de tout ce qui est de l’ordre de la sidération que ces concepts proposent. Le Big Data est assurément de cet ordre : une immensité, un vertige conceptuel.  Il évoque une totalité, une multitude,  ne le traduit-on pas par données massives  – image d’une foule immense  de données, de gens, de choses, d’images…? Or le dieu Pan est  parfois présenté comme le dieu de la foule, et notamment de la foule hystérique, en raison de la capacité qui lui était attribuée de faire perdre son humanité à l’individu paniqué, et de déchirer, démembrer, éparpiller son idole. C’est l’origine du mot « panique », manifestation humaine de la colère de Pan.

On comprend que le Big Data peut inquiéter un peu…

Et puisque c’est de mythologie qu’on tente ici d’entretenir le lecteur on peut aussi introduire un mythe plus récent et qui se manifeste par de constantes remises à jour depuis 1887 : Sherlock Holmes.

Sherlock comme antithèse mythologique au Big Data ? Son opposé, peut-être, la revanche de la « matière intellectuelle » contre la « matière calculée »?  Le plus célèbre détective de Baker Street se contente d’un indice et d’un seul pour résoudre l’énigme la plus extraordinaire qui lui soit posée tous les matins (un cheveu sur un trench-coat, un mégot de cigarette turque…) et il sauve le Royaume de Bohème.

Le tout récent Sherlock incarné par Benedict Cumberbatch utilise les nouvelles technologies sans vergogne mais dans son essence c’est toujours le même cerveau solitaire et génial qui est à l’œuvre.

Sherlock et le Big Data ont partie liée car ils ont un imaginaire commun : la connaissance et la prédiction. Connaissance de tout. Prédiction de tout. Chacun selon son art et sa manière. Sherlock, tout en énergie centripète, entièrement tourné vers lui-même et découvrant en lui-même la clef des mystères du monde. Le Big Data, tout en énergie centrifuge, balayant toutes les données du monde et les organisant en champs immenses pour les saisir et les comprendre.

Leur  affrontement (… ou leur complicité ) sera un des grands récits de notre temps.  Quel spectacle cela va être !

Christian Gatard



Lomé, Togo, décembre 2015
2 janvier 2016, 21 h 48 mi
Filed under: Actualité et nouveautés

Lomé, Togo, au Forum des jeunes entrepreneurs. Sur le leadership. A l’invitation de Claude Grunitzky. Décembre 2015. Photo Lionel Akué.Lomé, Togo 1



L’anneau
1 janvier 2016, 13 h 24 mi
Filed under: Actualité et nouveautés

L’anneau dans la gueule du lion: apprivoisement de sa nature sauvageL'ANNEAU



conférences et conservations récentes
13 décembre 2015, 8 h 36 mi
Filed under: Actualité et nouveautés

dans ce post quelques videos pour préparer 2016

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